Mystification ou dérive sectaire ? Fondée au Pays Basque autour de « Virginie », de son vrai nom Gaëtane Virginie de Lacoste Lareymondie, une « mystique » d’une soixantaine d’années, l’Alliance des cœurs unis revendique aujourd’hui 2 700 membres. Depuis mars 2022, de nombreux signalements ont été adressés à la cellule des dérives sectaires de l’épiscopat. Mikael Corre, envoyé spécial à Sainte-Anne-d’Auray (Morbihan) pour le journal La Croix a enquêté sur cette mouvance religieuse, autour de laquelle gravite notamment Philippe de Villiers et nombre de figures emblématiques de l’extrême droite ou de chrétiens conservateurs, de quoi interroger sur les motivations réelles de cette étrange société secrète.

L’association qui se fait appeler l’Alliance des cœurs unis, évolue en marge de la procession mariale La Troménie de Marie, fondée par un de ses membres. « Concrètement, c’est juste une communauté de gens qui se réunissent en petits groupes pour prier », explique Ivan Noailles, gendarme retraité et membre de l’Alliance, rencontré à Sainte-Anne-d’Auray. Sa raison d’être : diffuser les « révélations » d’une mystique de 61 ans, « Virginie », laquelle prétend être en relation privilégiée avec Jeanne d’Arc et… Jésus ! Dans les faits, il apparaît que les cheffes de ladite alliance se présentent comme des « roses » en croisade contre « treize boules noires » qui, selon leur croyance, contrôleraient le monde…

La « voyante » et Jeanne d’Arc

Virginie raconte que le Seigneur lui parle régulièrement et lui donne des instructions depuis près de trente ans. À la façon des mystiques prosélytes qui aiment parler d’eux, elle affirme avoir vu sur l’autel de l’église de Domrémy-la-Pucelle (Vosges) le visage du Christ sanglant. Plus tard, Jeanne d’Arc lui aurait confié une « sainte mission » d’évangélisation durant une messe en Vendée.

Ses homélies mêlent politique, monarchisme et développement personnel, avec une insistance pour le sacrifice et le martyre. Bien qu’ils se défendent de tout communautarisme, l’Alliance des cœurs unis n’en demeure pas moins profondément sectaire, avec des cheffes, surnommées les « boutons de rose ». Leur rôle : prêcher la parole de leur prophétesse Virginie sur le territoire national, laquelle annonce le retour des Capétiens pour gouverner la France !

La rose en croisade contre le « Nouvel ordre mondial »

Selon le symbolisme propre à la religion chrétienne, le rosier en tant qu’épineux évoque la couronne du Christ faite d’épines. Notons que le Pater était symbolisé par la rose rouge et l’Ave par la rose blanche et les cinq roses rouges des cinq pater associées parfois aux Cinq-Plaies du Christ. En outre, la rose désigne, pour les catholiques, la perfection. Raisons évidentes qui justifient l’emploi de « Rose mystique » dans les litanies qui sont adressées à Marie. Enfin, la rose pousse souvent dans les ronces. Quoi de plus évident que le choix de ces « roses », lorsque l’Alliance estime vivre dans un monde empli d’incrédulité, un véritable roncier ?

Un certain nombre de prêtres et fidèles interrogés par La Croix décrivent l’Alliance comme une Église secrète évoluant dans la plus grande discrétion. Le « groupe des roses » a quelque chose d’une secte. En effet, les roses, qui sont au nombre de quinze ou vingt, sont décrites dans le premier tome du livre de Virginie, Les Secrets du roi, comme « le pendant contraire d’un ordre maçonnique mondial ». Convaincue que notre monde serait contrôlé en secret par « treize tout-puissants de notre monde [qui] ont fait un pacte avec les ténèbres », Virginie trouve un écho certain chez certains conspirationnistes adeptes du mythe du « Nouvel Ordre Mondial » ou chez d’autres théoriciens complotistes à l’antisémitisme sous-jacent. Son public est certes hétéroclite, mais étroitement lié à la droite catholique conservatrice. Parmi les membres que La Croix a pu identifier, on compte la cofondatrice de la Manif pour tous Béatrice Bourges, Sylvie de Corta ou Caroline de Villiers, fille de Philippe de Villiers, qui prête régulièrement à l’association la bague attribuée à la Pucelle, revenue en France en 2016 après son rachat aux enchères en Grande-Bretagne par l’association du Puy du Fou.

Spécialiste en communication… avec les défunts !

Pour bien comprendre la naissance des « roses », il faut remonter au début des années 1990. Gaëtane de Lacoste Lareymondie ne se fait pas encore appeler « Virginie ». Celle qui fut journaliste pour la revue de spiritualité Chrétiens magazine réalise des interviews et des reportages, arpentant les lieux de miracles présumés, de Garges-lès-Gonesse (Val-d’Oise) à Tournai (Belgique), et rencontre de nombreuses « voyantes » comme Francine Bériault, Myrna Nazzour ou encore Mirella Pizzioli, une Italienne qui lui enseigne comment entrer en « communication avec les morts ». Les promesses radieuses de l’évangile lui causeraient-elles des extases ?

En 1992, Virginie s’envole pour un pèlerinage à Medjugorje en Bosnie-Herzégovine (un site non officiel de pèlerinage catholique depuis l’apparition supposée de la Vierge Marie sur une colline de la ville) où elle fait la rencontre d’une certaine Christine, qui jouera un rôle essentiel dans la fondation de son « groupe de prière ». Avant son décès, cette dernière demandera à Virginie et à quelques amies d’aider Martine L., une autre « médium », à retranscrire et à publier les messages que celle-ci recevrait du Christ. Si quelques-unes peuvent dans de très rares occasions susciter un soutien des autorités épiscopales, ces apparitions-là n’ont jamais été reconnues par l’Église.

Un groupe se crée donc autour de cette coiffeuse de Reims. On se partage ses écrits. On les retranscrit à la manière des copistes du Moyen-Âge. Plusieurs livres (Le Roi choisi par Dieu, Seul l’amour sauvera le troisième millénaire) sont publiés aux Éditions Resiac, spécialisé dans la vente d’objets religieux, de livres religieux et d’articles de piété. À Martine, Jésus aurait annoncé qu’après « de grands événements mondiaux » qui surviendraient après l’an 2000, les descendants des Bourbons et des Capétiens reviendront gouverner la France ! En 2008, à Orléans, Virginie témoigne publiquement de ses supposées visions. Le groupe se polarise alors autour d’elle, écumant et prêchant dans les églises et les sanctuaires. Virginie prétend que ses visions se multiplient, et des réunions sont organisées à Versailles, dans le Var ou encore à Reims, en vue de leur publication.

D’anciens membres de l’Alliance témoignent de l’emprise et de la manipulation qui y règne

Le 19 avril 2014, les statuts de l’association l’Alliance des cœurs unis sont déposés auprès de la sous-préfecture de Bayonne. Trois sources indiquent à La Croix que c’est également à ce moment-là que Virginie aurait « reçu du Christ » la demande d’écrire à l’évêque du diocèse, Monseigneur Aillet. « J’ai accepté d’accompagner pastoralement l’Alliance tout en disant toujours que je ne peux pas préjuger de l’authenticité des révélations », explique ce dernier au journaliste.

Ces dernières années, des évêques ont fait part de leurs vives inquiétudes au sujet de ce groupuscule sectaire, conduisant l’évêque de Bayonne à demander à Virginie de mettre en pause ses prêches. Des témoignages d’anciens membres de l’Alliance que La Croix a pu consulter sont ainsi parvenus à la cellule des dérives sectaires dans des communautés catholiques . Les critiques adressées – « emprise », « manipulation des esprits », « impossibilité de quitter librement le groupe des roses » – ont conduit le responsable de la cellule, Mgr Jean-Luc Brunin, à alerter Mgr Aillet. « Il n’y a pas de preuves permettant de conclure à d’éventuels problèmes », déclare l’évêque de Bayonne, affirmant que rien dans les messages de Virginie n’entre en contradiction « avec la foi ou les mœurs ».

« Aujourd’hui je n’y crois plus », affirme, quant à lui, le père Antoine Coelho, ancien mentor de Virginie entre 2012 et 2013. « Ce n’est pas à moi de juger de la véracité de messages supposément reçus du Ciel. C’est à l’Église. Ceci dit, sur ces questions spirituelles complexes, j’invite tout fidèle à une très grande prudence », conclue le prêtre. Comme lui, plusieurs évêques estiment qu’une enquête canonique sérieuse devrait être menée au sujet des agissements et du discours de ce groupe.

Selon Virginie, le Pape François serait un apostat

Dans Les Secrets du roi, Virginie explique se présenter comme « la veuve » ou « l’épouse » du Christ. Ce dernier, affirme-t-elle, l’aurait embrassée sur la bouche lors d’une vision… Une autre de ses affirmations concerne le pape François. Virginie ne le dit jamais ouvertement, mais elle suppose qu’il est un apostat. Selon son propre témoignage, elle aurait reçu la vision, une semaine après son élection en 2013, « d’une boule noire à la tête de l’Église ». « Je demande au Seigneur de m’éclairer sur ces infiltrations lucifériennes », écrira-t-elle plus tard. Quelques jours après la conférence de Virginie lors du pardon de 2022 à Sainte-Anne-d’Auray, des membres bretons de l’Alliance allaient jusqu’à évoquer, au cours d’une rencontre, les « anges de Satan » qui inspireraient le successeur de Benoît XVI !

Un programme politique royaliste

Indéniablement, le simple fait de se mettre ainsi en valeur constitue déjà un critère rédhibitoire. Pour plusieurs spécialistes des dérivés sectaires et mystiques, Virginie adopte un programme résolument politique et royaliste, en prônant le retour au royaume chrétien et à la France de Jeanne d’Arc.

L’Alliance des cœurs unis s’inscrit dans cette mouvance pseudo-mystique et occulte qui remonte jusqu’au XIXe siècle, à l’image de pseudo-visionnaires comme la Bretonne Marie-Julie Jahenny, en s’opposant farouchement à tout ce qui pourrait remettre en question leurs croyances archaïques. Ils se considèrent comme des élus de Dieu lui-même, qui espèrent sauver la France et l’Église. En somme, un énième groupe millénariste sectaire qui profite, une fois de plus, de la crédulité de leurs fidèles, de la situation sociologique actuelle et d’une crainte commune en l’Apocalypse. Une question légitime se pose alors : cette foi ardente et mystique résistera-t-elle à toutes les contradictions qui la ronge ? Car elle représente, assurément, rien de plus qu’une étape inexorable vers la fin du discernement et de l’intelligence…


En illustration : détail d’une enluminure représentant Jeanne d’Arc, datée de la seconde moitié du XVe siècle (Archives Nationales, Paris, AE II 2490).