Publicité mensongère, allégations thérapeutiques délirantes, pratique illégale de la médecine… De Médoucine à Resalib, il n’y avait qu’un pas que de nombreux charlatans ont franchi. Si dans les faits, ces pratiques médicales peuvent — éventuellement — prodiguer un certain réconfort physique ou émotionnel, elles s’avèrent être pour les médecins et pour les malades un sérieux problème de santé publique !
Résalib est-il devenu le nouveau Doctolib de la désinformation médicale ?
Fondée et installée à Lille en 2016 par deux ingénieurs informatique et commercial, Léo Poitout et Jean Guidez, Resalib / LaMédecineDouce.com est devenue en six ans une vitrine incontournable des « médecines douces » et un acteur majeur pour la mise en relation des professionnels de ce secteur avec leur clientèle. Hélas, forte d’un réseau de plus de 40 000 praticiens disséminés sur le territoire national, celle qui se targue d’être « la plus grande communauté de praticiens en médecines douces de France » est surtout devenue une porte grande ouverte à toutes sortes de fake médecines chamaniques, lesquelles peuvent relever de la fraude, car elles sont tout simplement inefficaces. Notre enquête a révélé que si une petite part des pratiques proposées par les « thérapeutes » présents sur Résalib ne s’apparentent pas forcément à de l’exercice illégal de la médecine, un grand nombre en revanche éloignent sciemment leurs patients de parcours de soins efficaces, certains prétendant même pouvoir soigner l’autisme, des pathologies souffrantes comme la sclérose en plaques et même le cancer avec un pendule, la lithothérapie ou par la simple imposition des mains !
Dans son dernier rapport, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) rapporte une hausse significative des signalements concernant des pratiques pseudo-scientifiques et des dérives sectaires. Les dérapeutes ont clairement profité de la pandémie mondiale de Covid-19 pour alpaguer les foules superstitieuses, avec Internet comme vecteur idéal de diffusion de leurs pratiques occultes. En coulisses, des théories conspirationnistes qui gagnent une popularité de plus en plus importante. Enquête et décryptages.
Une diffusion sans complexe de fake médecines
Bien que les fondateurs dudit site se défendent de toute responsabilité quant aux contenus erronés qui pourraient figurer sur les fiches des praticiens qui utilisent leur plateforme, leur blog (LaMedecineDouce.com) diffuse pourtant régulièrement des informations mensongères et fait la promotion de pseudosciences, de concepts New Age farfelus ou souvent épinglés pour les risques de dérives sectaires qu’ils génèrent. Ainsi, en parcourant le blog de Resalib, on découvre avec stupéfaction des articles traitant de l’Access Bars, une technique qui a fait l’objet de très nombreux signalements à la Miviludes ces dernières années, mais aussi de kinésiologie, de « thérapies psychoénergétiques » et de « médecine quantique ». Des pratiques accusées d’abuser le public en reprenant notamment la terminologie scientifique pour l’appliquer à la médecine d’une manière fantaisiste.
À la faveur de la crise sanitaire qui a vu fleurir sur Internet et les réseaux sociaux une désinformation médicale de plus en plus forte, la défiance des gens pour les grands groupes pharmaceutiques et les institutions scientifiques s’est accrue. Cette situation ubuesque a engendré l’apparition d’un grand nombre de sites de ce genre (tel la start-up Médoucine par exemple), et la diffusion d’une désinformation médicale hors norme, donnant des ailes aux gourous de la santé et aux complotistes (Marianne, 2021). Resalib ne fait pas exception puisque dans un article daté du 28 mai 2020, et diffusé sur leur blog, les auteurs y affirmaient que selon plusieurs études, « de plus en plus de preuves témoignent de la corrélation entre [la] vitamine [D] et [le] développement d’une infection COVID, ainsi que de la gravité de la maladie ». Une information ne reposant pourtant sur aucune base scientifique et démentie par l’OMS quelques mois plus tard. L’article de Resalib n’a pourtant fait l’objet d’aucun rectificatif depuis.
Sur Resalib et LaMédecineDouce, si de rares praticiens proposent des accompagnements positifs ou incitent leurs clients à ne pas se soustraire à un avis médical, de nombreux autres prétendent que les maladies sont dues à un « déséquilibre du taux vibratoire », ou utilisent des gadgets et des appareils dits de « médecine quantique » pour diagnostiquer ou régler ces problèmes. Parmi les « praticiens certifiés » du réseau Résalib, on retrouve notamment une liste incalculable de « médecins holistiques », de kinésiologues, de naturopathes, d’homéopathes, de médiums ou de magnétiseurs, véritables « aimants à crédules » qui proposent des soins, parfois à distance, allant jusqu’à plusieurs centaines d’euros par consultation (en présentiel ou non), voire plus selon les « dons de médiumnité » et les « qualifications » remarquables qu’ils prétendent avoir obtenues.
Faux certificats et gourous du développement personnel
Pour embobiner le client, certains praticiens vont même jusqu’à afficher des certificats de naturopathie délivrés par de simples organismes de formation, comme l’ADNR. Sur le site de cet organisme, on trouve pourtant une mention explicite : « cet enregistrement ne vaut pas agrément de l’État ». L’un d’entre eux, naturopathe à Reims, explique utiliser « des élixirs de cristaux qui sont élaborés grâce à des pierres énergétiques » pour « rééquilibrer les énergies et la force spirituelle présente en chacun de nous ». Une autre, bioénergéticienne à Brest propose des « rééquilibrages énergétiques » avec les méthodes de « Bioresonance » (System Life) et de « Lithothérapie Quantique » (Ciel de cristal) pour retrouver un bien-être complet tant sur le physique, émotionnel, mental que spirituel. Pourtant, la « thérapie quantique » n’est qu’un vulgaire détournement d’un concept physique, rien de plus qu’une énième arnaque à la mode chez les gourous du développement personnel. Car derrière ce langage ésotérique et pseudo-scientifique, des concepts fumeux et des soins miraculeux sans aucune scientificité. Mais la palme de l’ésotérisme revient sans nul doute à certains « chamanes » présents sur le site Resalib, incontestables vendeurs d’orviétan et esbroufeurs qui assurent maîtriser la « télékinésie » (le fait de déplacer des objets par la pensée), ou la « vision » des « auras » (voir l’Effet Kirlian) des animaux, des végétaux et minéraux, voire même des lieux !
Soigner le cancer avec des « cristaux magiques »
Si l’on en croit pourtant les Conditions générales d’utilisation de Résalib, tout manquement déontologique devrait être sanctionné par la suppression de la fiche du praticien charlatan. Or, une recherche rapide avec des mots-clés simples permet de découvrir des dérapeuthes en « science crânio-Sacrée », des « praticiens Shiatsu », des formatrices en « soin sacré stellaire », des « naturopathes quantiques » ou des « sexothérapeutes » et « coachs en développement personnel », des « sonothérapeuthes », « voyants », « passeurs d’âme(s) », etc. Certains prétendent même soigner le cancer par l’utilisation de diverses techniques, dont des « cristaux magiques sibériens ». C’est le cas notamment d’une dérapeuthe chamanique qui se présente sur le site comme « praticienne en énergétique » à Parisot (Tarn). Une naturopathe lyonnaise propose quant à elle des remèdes de plantes pour limiter les effets secondaires des traitements chez les patients atteints de cancer. Une troisième, qui se présente comme « Art-thérapeute reconnue par l’État », prétend s’appuyer sur les principes humanistes et les effets physio-neuro-psycho de l’Art pour soigner les enfants autistes.
Selon la rubrique affiliations partenaires de Resalib, un praticien qui affiche un badge partenaire permet d’attester de son appartenance avec ces organismes. Il existe à ce jour 21 badges d’affiliation disponibles, allant du Syndicat National des Kinésiologues au Syndicat Professionnel des Réflexologues, en passant par celui des Géobiologues experts ou de l’Académie Européenne des Médecines Naturelles. Nous avons fait le test au hasard avec l’un d’entre eux : le Syndicat National des Praticiens et Enseignants du Reiki (SNPER). Pour adhérer à cette organisation et voir un badge « Reiki » s’afficher sur sa page de profil, le praticien devra simplement débourser 35 € par an ! Dans les conditions d’accès au syndicat, le SNPER indique qu’il « n’est pas obligatoire que le Reiki soit votre activité principale pour adhérer, mais c’est souhaité ». Même rengaine pour la FFST (Fédération Française de Shiatsu Traditionnel), avec une nuance de taille cette fois : même les stagiaires peuvent bénéficier de cet agrément ! Quant aux naturopathes, mis à part l’OMNES (Organisation de la Médecine Naturelle et de l’Education Sanitaire), une association Loi 1901, il n’existe encore aujourd’hui aucun cadre réglementaire régissant ce métier très en vogue. L’OMNES, qui se veut le garant et le représentant de cette profession, afin d’en assurer la sécurité de pratique et de l’amener à être réglementée et reconnue par les pouvoirs publics, ne recense quant à elle qu’une centaine de naturopathes agréés sur l’ensemble du territoire (octobre 2022). Malgré ce fait, Resalib compte plus de 1890 naturopathes « certifiés » dans ses bases de données.
Du déclaratif, sans vérification
Afin de nous assurer des dangers réels introduits par certains thérapeutes utilisant Resalib, nous avons tenté de créer un faux compte de médecin sur le site. Or, il s’avère que pour devenir praticien sur Resalib et exercer illégalement la médecine, la procédure est d’une enfantine simplicité et ne demande aucune vérification particulière des soi-disant diplômes obtenus. N’importe qui peut remplir le formulaire d’inscription et voir sa fiche « praticien » créée dans la minute. La « vérification » de l’identité, laquelle permet d’obtenir le sésame « identité vérifiée » (illustré sur le site par un pictogramme rassurant pour les internautes), s’obtient en souscrivant à un abonnement professionnel, à partir de 99,99 € par an. Rien de plus. Il n’y a donc aucune garantie pour les patients que la personne qu’ils contactent ait la moindre compétence en médecine. Plus grave encore, avec nos talents d’infographiste nous avons même poussé le vice plus loin en bricolant un faux certificat en cinq minutes grâce à un logiciel de retouche d’images. Une semaine plus tard, le faux diplôme était toujours en ligne sur notre profil (supprimé par nos soins avant publication du présent article). Preuve supplémentaire que les informations déclarées ne sont absolument pas vérifiées par les auteurs de la plateforme. De même, la rédaction d’un « avis client » n’a aucune valeur puisque n’importe qui peut en publier, y compris le thérapeute lui-même, sans plus de vérification si ce n’est une validation a posteriori par l’équipe de modération (sous 48 heures).
Cependant, Resalib rappelle que son site « a pour vocation d’être un portail généraliste regroupant des praticiens de tous les secteurs, conventionnés ou non, formés ou non, reconnus ou non. » Les thérapies disponibles sur cette plateforme ne sont donc ni évaluées ni fondées scientifiquement. Actuellement, l’entreprise semble plutôt se concentrer sur la réussite de ses praticiens, en leur offrant un nuancier d’outils pour accroître leur visibilité et augmenter leur clientèle.
Pourquoi ces croyances perdurent ?
Pourquoi un tel engouement pour les médecines « douces » ? La première raison invoquée par les adeptes des médecines dites non conventionnelles est souvent la prise de médicaments, et donc échapper aux éventuels — bien que rares — effets secondaires. Mais il est fort à parier que ce choix de faire appel à des pratiques thérapeutiques autres que la médecine à la base de notre système de santé vient surtout du fait que, bien souvent, les médecins manquent de temps. En effet, en France la durée moyenne d’un rendez-vous médical est de 12 minutes. Comment espérer dans ces conditions la prise en charge d’un patient, avec toute l’empathie nécessaire et dans sa globalité ? Il est indéniable que chacun est en droit d’exiger plus d’attention de la part du corps médical et une médecine moins déshumanisée parce que trop expéditive, voire parfois trop technique.
Une inquiétante marchandisation de la médecine
Mais s’il est entendu que l’on puisse éventuellement trouver un certain réconfort dans les médecines douces, voire un mieux-être physique et émotionnel lié à une attention particulière de la part de ces nouveaux praticiens, cet engouement pour les médecines parallèles entraîne, malheureusement, le risque grave d’éloigner des malades de thérapies efficaces au profit d’autres qui peuvent s’avérer parfois dangereuses pour leur santé… et aussi pour leur portefeuille. Or, c’est précisément cette marchandisation de la médecine, de Doctolib à Médoucine, en passant par Resalib qui inquiète de plus en plus un très grand nombre de médecins, toutes disciplines confondues. Pour paraphraser la philosophe Janet D. Stemwedel qui faisait référence au philosophe Karl Popper, « les pseudo-sciences cherchent des confirmations et les sciences des réfutations. »
Nous concluerons donc ce décryptage par ces mots, empruntés au sociologue Gérald Bronner dans son livre Que faire ? De la démocratie des crédules à celle de la connaissance : « il y a un saut vertigineux entre l’idée parfaitement acceptable de ne pas considérer que tout ce que déclare la science est à graver dans le marbre et cette autre, qui considère que les propositions scientifiques sont des croyances comme les autres. »
Enrichissons nos connaissances :
Gérald Bronner est un professeur de sociologie à l’université de Paris et membre de l’institut universitaire de France. Il travaille notamment sur des questions autour des croyances et de la radicalité. Il est l’auteur de l’Empire des croyances (PUF, 2003) et de La pensée extrême (Denoël, 2009) et La démocratie des crédules (PUF, 2013).
En illustration : « The Travelling Quack » (Le Charlatan Voyageur) par Tom Merry in St. Stephen’s Review Presentation Cartoon, 22 juin 1889 (détail).