L’illusion « hérétique », que l’on retrouve dans la dialectique complotiste découle en réalité de nombreux biais cognitifs connus de la zététique. Un petit article pour apprendre à déterminer si une information est de l’ordre des pseudosciences ou non, inspiré des travaux du docteur en didactique des sciences Richard Monvoisin, l’une des figures du mouvement sceptique et zététique francophone.
« Hérésie » n’est pas synonyme de « vérité »
Comme disait Shermer, « être la risée de quelqu’un ne signifie pas que vous avez raison. » Pour illustrer ce fait, une citation, souvent revendiquée par les complotistes et attribuée à Schopenhauer : « Toute vérité franchit trois étapes. D’abord elle est ridiculisée. Ensuite, elle subit une forte opposition. Puis, elle est considérée comme ayant toujours été une évidence ». Cette phrase, accommodée à toutes les sauces, même les plus nauséabondes, est une phrase creuse car « toute vérité » ne passe pas toujours par ces étapes.
En effet, beaucoup d’idées vraies sont acceptées sans opposition, violente ou autre. La théorie de la relativité d’Einstein a été largement ignorée jusqu’en 1919, date à laquelle des preuves expérimentales ont prouvé qu’il avait raison. Il n’a pas été ridiculisé, et personne ne s’est violemment opposé à ses idées. La citation de Schopenhauer n’est qu’une façon fantaisiste pour ceux qui sont ridiculisés de dire : « Vous voyez, je dois avoir raison. » Et bien… Pas du tout !
Le tri des situations
Faisant appel au faisceau de preuves comme au biais de confirmation, le tri des situations affirme qu’il n’y a pas d’alternative, pas de réfutabilité d’une information jugée vraie. Or l’histoire regorge de récits de scientifiques orphelins, de pseudo-découvertes établies à l’encontre des doctrines de leur propre domaine d’étude, par d’illustres inconnus dont on a oublié les noms. Pour chaque Galilée, il y a mille (ou dix mille) inconnus dont les « vérités » ne passent jamais l’épreuve des autres scientifiques. L’irréfutabilité des pseudosciences est le premier critère de démarcation entre la science et la pseudoscience. En effet, toute théorie scientifique doit être en mesure d’être potentiellement réfutée. Ce critère de réfutabilité permet entre autres d’éviter le Biais de Confirmation d’Hypothèse, travers psycho-cognitif qui fait que tout individu cherche activement et accorde un poids plus important aux preuves qui confirment ses hypothèses, et par conséquent est capable d’occulter les contre-exemples qui contredisent sa théorie.
Il devient alors possible de faire la distinction assez efficacement entre les « champs de croyance » des « champs de recherche », en regardant lesquels peuvent se soumettre à une critique scientifique sérieuse.
La dé-historicisation et les baignoires d’Archimède
Présenter les hypothèses sans les contextualiser, ou retracer l’histoire de leur controverse amène à la création de mythes scientifiques qu’Ortoli et Witkowski (1998) ont appelé les baignoires d’Archimède. Ces mythes dont la vulgarisation scientifique se nourrit, entre les meubles de Palissy, le serpent de Kekulé, la pomme de Newton ou encore le Nombre d’Or.
Et Shermer de conclure : « On ne peut pas attendre de la communauté scientifique qu’elle teste toutes les affirmations fantastiques qui se présentent, surtout quand tant d’entre elles sont logiquement incohérentes. Si vous voulez faire de la science, vous devez apprendre à jouer le jeu de la science. Cela implique d’apprendre à connaître les scientifiques dans votre domaine, d’échanger des données et des idées avec vos collègues de manière informelle, et de présenter officiellement
les résultats dans des articles de référence, des revues à comité de lecture, des livres, etc. »
Absence de progrès et enfermement dogmatique
Un autre critère qui permet de déterminer si une information est de l’ordre des pseudosciences est le fait que la plupart des théories du complot sont immuables avec le temps. Leurs défenseurs ne fournissent jamais d’évolution et se drapent toujours dans un traditionalisme déférent vis-à-vis du ou des fondateurs. Un signe de pseudoscience est la non prise en compte des contradictions ou des faits allant son encontre, à l’image de la résistance intellectuelle aux idées contraires chez un individu.
Les pseudosciences n’évoluent pas
Loin d’accepter la critique, les pseudosciences n’évoluent pas, à la manière d’une recherche scientifique qui remettrait en question ses prémisses si celles-ci s’avèrent erronées. Les pseudosciences font peau neuve, le plus souvent en changeant de nom ou en se « mélangeant » à d’autres concepts New Age ou d’autres théories. Par nature isolées des autres disciplines, il est fréquent qu’elles se métissent avec d’autres sciences, comme le montre la « naturopathie quantique » par exemple, une discipline charlatanesque très en vogue aujourd’hui.
Les exemples sont nombreux, de la thérapie intuitive à la psychothérapie tantrique, de l’EMDR à la kinésiologie. Le recyclage de thérapies « classiques » peu connues du grand public est une pratique courante, comme la marche sur le feu ou l’effet Kirlian, par exemple, sont repris l’un par la formation en entreprise, l’autre par la théorie des enfants Indigo et la croyance en l’aura (un phénomène scientifique provoqué par l’ionisation naturelle qui entoure les éléments chimiques conducteurs).
Autre exemple d’immobilisme scientifique et dogmatique, la psychanalyse, dont les fondements demeurent résolument freudiens, sans que les résultats récents puissent y changer quoi que ce soit. Si le langage a évolué, les idées et les théories sont sagement demeurées fidèles au maître, et ce, malgré les découvertes et les progrès de l’exploration et de la compréhension des réalités psychologiques, biologiques et neurologiques de ces dernières années.
Il arrive aussi que cette léthargie soit un argument d’authenticité. On retrouve une telle stratégie dans les Élixirs floraux de Bach, par exemple. Il y a un fort attachement (ainsi qu’un enjeu économique manifeste) à revendiquer la méthode traditionnelle du Dr Bach dans la fabrication des élixirs floraux qui portent son nom. C’est d’autant plus simple qu’elle est restée figée en l’état depuis son décès en 1938. Les seules évolutions apportées à la pseudo-théorie ne sont pas qualitatives mais quantitatives : sont désormais crées des élixirs de plantes qui n’appartiennent pas aux 38 de base. Seule innovation : la création de parfums.
Ainsi que l’écrivait Richard Monvoisin dans Élixirs floraux de Bach, quintessence d’une illusion : « la fabrication d’élixir agglomère pratiquement toutes les pratiques et le lexique des tenants du Nouvel Âge : d’aucuns prétendent qu’il est nécessaire de se recueillir et demander la permission de la Nature ; d’autres enjoignent à se munir d’un pendule, ou de faire des danses mystiques. Certains encore proposent de partir avec un livre de photos des plantes, de s’imprégner de leur image, puis de fermer le livre et de ramasser celles qui vous conviennent le mieux, qui ont la plus grande aura. Au final, les plus scrupuleux arguent du fait qu’il faut se laver soigneusement, mettre des vêtements propres, et s’efforcer d’entretenir les pensées les plus pures possibles. En bref, la litanie des choses à faire pour obtenir un élixir fonctionnel de la plus pure tradition comporte un tel nombre de possibilités d’erreur que réussir à en réaliser dans les règles de l’art puis à le prendre dans les conditions adéquates relève du miracle, comme dirait Hume, et permet à la pseudo-théorie de justifier a priori de son échec potentiel. »
Source : Élixirs floraux de Bach – Quintessence d’une illusion, Richard Monvoisin (2004).
Ce cramponnement aux textes originels et aux fondements se retrouve dans la culture populaire comme argument d’autorité, au sens où ce qui est traditionnel, qui plus est ancien, est forcément meilleur puisque gage d’une survie dans le temps et témoin de la sagesse ancestrale. On retrouve ici une autre biais cognitif : l’argument d’historicité, nommée aussi éloge de l’ancienneté. Toute critique devient une attaque non contre l’inefficacité d’une thérapie, mais contre toute la sagesse indienne ou chinoise, en une rhétorique caricaturale.
Effort versus Simplicité
Dans Pour une didactique de l’esprit critique (2007), Richard Monvoisin propose une métaphore pédagogique intéressante, l’allégorie de la grotte et les deux stalactites :
« Imaginons deux stalactites dans une grotte. L’une d’entre elles est le produit de milliers d’années de concrétion calcaire, par exemple par précipitation de bicarbonate de calcium. L’autre est le produit d’une vile contrefaçon de ma part, fabriquée exprès en glaise avec mes mains juste avant votre arrivée. De fait, les deux stalactites sont dans la grotte et de forme semblable. Avant de vous extasier, vous demandez au gardien de la grotte l’histoire de chacune, et le gardien me dénonce : l’une est produite par une physico-chimie lente et descriptible, l’autre par le scénario d’un illuminé (moi). D’un coup, l’intérêt que vous portiez également sur les deux s’émoussera sur la mienne, qui n’est qu’une copie. »
Ces stalactites sont à l’image de certaines constructions théoriques. Certaines ont résisté au temps et aux intempéries, d’autres ne sont que des scénarios. Connaître l’historicité des édifices théoriques même récents est essentiel pour en évaluer leur portée et pour distinguer une théorie (science) et un scénario (pseudo-science).
Si ces édifices sont séparés de leur histoire et présentés au public, celui-ci risque de prendre des vessies pour des lanternes, des rêves pour la réalité, et de la glaise pour du bicarbonate millénaire. Les pseudosciences (tout comme les théories complotistes) sont des îlots d’adhésion qui sont autant de stigmates, de marqueurs d’une utilisation de mauvaise qualité de la science et du savoir.
Enrichissons nos connaissances
Le Centre collégial de développement de matériel didactique (CCDMD), géré par le collège de Maisonneuve, est un centre de production de ressources numériques et de documents imprimés conçus à l’intention du personnel enseignant et des étudiants de l’ensemble du réseau collégial du Québec.
Sources : Pour une didactique de l’esprit critique, Zététique & utilisation des interstices pseudoscientifiques dans les médias de Richard Monvoisin. Thèse codirigée par les Professeurs. P. Lévy et H. Broch, soutenue le 25 octobre 2007, à l’école Doctorale EDISCE, Université Grenoble 1 – Joseph Fourier.