Les fake news ne sont pas que l’apanage de l’extrême droite. Preuve en est la finale de la Ligue des champions 2022 qui restera sans doute dans les annales de la République. Là où certains évoquent un mensonge d’État, d’autres préfèrent croire les explications du ministre de l’Intérieur. Dans tous les cas, le mystère reste entier : que s’est-il réellement passé aux abords du Stade de France le 28 mai dernier ?
Paris, le 28 mai 2022. Lors de la finale de la Ligue des Champions au Stade de France, la police française bloque pendant des heures des supporters de Liverpool. Puis elle les charge, usant sans distinction de gaz lacrymogènes, y compris contre des enfants. Insoutenables, les images provoquent un scandale international et même une crise diplomatique. Le pouvoir allume immédiatement un contre-feu : il y aurait eu des « hordes violentes » armées de « machettes » autour du stade de France. À en croire le Ministère de l’Intérieur, les supporters auraient été victimes de ces « délinquants » et non de la police. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin évoque notamment « 40 000 faux billets » chez les supporters britanniques. La crise s’accentue côté anglais, face à des fake news aussi énormes. Car une énigme demeure — et non des moindres. Aux dires du ministre, au point de sécurité de préfiltrage se seraient présentés 40 000 supporteurs de Liverpool, « sans billets ou avec de faux tickets ». Mais au second point de sécurité, c’est-à-dire moins de huit cent mètres plus loin, seuls 2 800 faux billets furent scannés. Où et comment ont pu se volatiliser les 37 200 fraudeurs manquants ?
Le mystère ne s’arrête pas là. S’agissant des « hordes » de « délinquants », on apprend le 8 juin que les images de vidéosurveillance du Stade de France, appartenant à la Fédération Française de Football (FFF), ont été « effacées » faute de réquisition judiciaire. Peu après, la RATP explique qu’elle a aussi supprimé toutes ses images, prétextant « des raisons de stockage ». Faut-il y voir une volonté de couvrir des mensonges d’État ? Quoi qu’il en soit, si des images de répression ont bien été vues sur les réseaux sociaux, ni la police ni les grands médias nationaux n’ont été capables de fournir les fameuses images de « hordes violentes armées de machettes » ni des prétendues dizaines de milliers de faux tickets. Suite aux propos aberrants de Gérald Darmanin, le journal Le Monde diffuse une vidéo le 10 juin 2022, dans laquelle les journalistes déclarent que « selon les centaines de photos et vidéos collectées puis assemblées par Le Monde, rien ne permet de constater un surplus de supporters d’une telle ampleur ». À ce jour, à l’exception de l’unique témoignage de Paddy Pimblett, combattant de l’UFC [la plus grosse organisation au monde de MMA (mixed martial arts) – ndla] venu assister au match, aucun élément factuel ne permet d’étayer les propos du Ministère de l’Intérieur.

La disparition des images de vidéosurveillance signifie la disparition d’éventuelles « preuves » de la brutalité policière, comme celles des agressions dont ont tant parlé les médias pour masquer le vrai scandale. Les seules images conservées sont celles de la SNCF. La compagnie publique de transport ferroviaire précise par ailleurs que « ces images ont fait l’objectif d’une réquisition » par les autorités judiciaires vendredi 10 juin 2022. En ce qui concerne les images de la préfecture de police, les présidents des deux commissions sénatoriales qui enquêtent sur les incidents du 28 mai « comptent sur la diligence des services du ministère [de l’Intérieur] pour pouvoir y accéder dans les meilleurs délais », a indiqué le Sénat dans un communiqué.
Mise à jour du 17 juin 2022
Un policier de la direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC) de la préfecture de police raconte à Mediapart qu’ « il y avait une telle foule à l’intérieur et à l’extérieur du métro » il n’avait « jamais vu une scène pareille de [sa] vie ». Il ajoute être arrivé à la bouche de métro Porte de Paris sur la ligne 13, vers 23 heures, à l’issue de la rencontre. « Une cinquantaine de voleurs s’étaient mêlés aux spectateurs, ils arrachaient des colliers, volaient les téléphones, il y avait des mouvements de foule à chaque fois… Les supporters, qui étaient cool, se sont fait dépouiller, et nous n’étions pas assez nombreux, on n’arrivait pas à interpeller ». Dépassés par la situation, les fonctionnaires sur place « lançent des appels à renforts sur les ondes ». « De l’autre côté, on entendait “bien reçu”, et puis… le calme total, il ne se passait rien », raconte-t-il. « On est restés jusqu’à deux heures du matin, les renforts ne sont jamais arrivés. »
Dépassées, les forces de l’ordre ont alors eu recours à la force, face à des supporters pacifiques qui faisaient la queue patiemment, avec l’utilisation, notamment, de gaz lacrymogènes. « Moi, j’ai vu des policiers qui cherchaient des problèmes, qui n’en trouvaient pas, et qui menaçaient des gens avec leur matraque », a ainsi témoigné le maire de Liverpool face aux sénateurs. De son côté, Didier Lallement a défendu le recours aux lacrymogènes, à ses yeux « nécessaire ». Face aux sénateurs, Darmanin admettra que les effectifs de sécurité publique étaient peut-être « insuffisants ».
Propos recueillis par Sarah Brethes et Pascale Pascariello, pour Mediapart.