Santé, bien-être, préoccupations écologiques et refus d’accepter le monde tel qu’il est sont les nouveaux points d’orgue des croyances New-Age et complotistes. Si la remise en question des faits s’explique, les risques de dérives sectaires existent bel et bien. La plus grave pandémie de 2020 ne fut pas seulement celle de la Covid-19, mais bien l’épidémie de l’ignorance et celle du déni de la réalité. Certes le coronavirus a fait des millions de victimes, mais il ne faut pas sous-estimer le danger que représentent la désinformation et les idées fausses.

Jamais autant depuis deux ans, un tel raz-de-marée de sottises n’aura déferlé sur nos sociétés déjà affaiblies et malmenées par le virus Corona. Nul n’est à l’abri d’un malheureux instant d’égarement intellectuel. Mais sombrer dans la religion complotiste et dans les certitudes obscurantistes représentent des risques bien plus dangereux. Ainsi que l’est le complotisme, les croyances New Age sont un autre univers. Y pénétrer vous entraîne inexorablement vers une réalité déformée, qui progressivement dissout votre intelligence, votre libre-arbitre, votre esprit critique au profit d’une idéologie fanatique. À terme, l’humain devient un docile fidèle prêt à tout remettre en question, à tout va, sans jugement ni réflexion, même l’incontestable. Car si la religion était, selon Marx, l’opium du peuple, il en va de même pour le complotisme.

Par compassion humaniste, on pourrait être tenté de considérer les adeptes de la pensée complotiste et New-Age avec bienveillance, comme on le faisait autrefois à l’égard des simples d’esprit. Mais le ressentiment qui anime aujourd’hui les complotistes les conduit inévitablement vers la haine et l’intolérance, construisant petit à petit un monde à leur image, où la différence n’a guère sa place et où les jugements de valeur embrouillent toujours leur esprit. Tout humain doué de raison, d’esprit critique et qui cherche à opposer des idées claires et honnêtes à cette pensée unique tentaculaire s’est déjà retrouvé confronté aux trolls complotistes et identitaires qui sévissent et déversent leur logorrhée extrémiste et totalitaire dans nos divers espaces sociaux.

Les complotistes sont-ils des fanatiques religieux ?

Le problème de ces idéologies, c’est que ses partisans se radicalisent dans leurs croyances, allant toujours de plus en plus loin. Car le complotisme transforme ses défenseurs en de véritables fanatiques religieux. Dans une interview pour Usbek & Rica du 19 novembre 2021, Élisabeth Feytit rappelle qu’une croyance commune du New Age (et du complotisme), c’est que la majorité de la population serait enfermée dans une sorte de matrice qui l’empêcherait d’accéder à son « potentiel humain », un terme introduit par Aldous Huxley, et qui renvoie à la fameuse « meilleure version de soi-même » (in Le Meilleur des mondes, 1932).

Selon des préceptes communs de la doxa complotiste et des dogmes New-Age, ses adeptes ont pour mission de nous ouvrir les yeux, de nous montrer que nous ne faisons qu’un avec l’univers, selon une croyance panthéiste (une doctrine philosophique selon laquelle « Dieu est tout » et « tout est Dieu »). Au cœur de la spiritualité New Age, il y a cette promesse de pouvoir s’extraire de sa morne existence, du train-train de la vie d’entreprise en créant son propre emploi, de se « reconnecter » au monde et aux autres, etc. Les partisans de ces doctrines n’auront de cesse de répéter qu’ils ne sont pas des « moutons », qu’eux seuls savent « réfléchir par eux-mêmes ». Un paradoxe évident, puisque les complotistes et les sympathisants New Age ne suivent que des « vérités » sectaires établies par d’autres, usant d’un langage qu’ils n’ont pas inventé, ce qui en soi confirme l’évidence qu’ils ne pensent pas non plus « par eux-mêmes ».

« Je me sentais assaillie par les forces négatives, je suis tombée dans une logique délirante dans laquelle j’incarnais le bien en lutte contre les forces du mal. »

– Élisabeth Feytit, ancienne adepte du mouvement New Age.

En coulisse, il y a une réelle harmonie intellectuelle qui parle aux personnes qui ont envie de s’améliorer, de faire du bien autour d’elles, de donner le maximum pour œuvrer à un monde nouveau (et à l’ostentation de leur croyance). C’est un des nombreux paradoxes du New Age et du complotisme qui, finalement, par cette course effrénée à la performance des individus et à la reconnaissance par leurs pairs, s’alignent effectivement sur les dogmes néo-libéraux de réussite et de la culture de l’égo. En tant qu’humains, nous avons un attachement instinctif pour la pensée « magique », pour des réponses qui nous rassurent, font plaisir à notre cerveau et qui nous confortent dans nos certitudes. Or, pour reprendre les propos d’Huxley, devenir le meilleur de soi-même implique inévitablement d’accepter ce qui ne peut pas être changé et de transformer ce qui peut être amélioré (dans sa vie, ses croyances, ses propres constructions mentales, etc.).

Prendre conscience et questionner nos biais humains d’observateur – ces biais cognitifs qui régissent notre intellect – est peut-être la première étape pour sortir de la spirale infernale de nos propres modes de pensée, ce sur quoi on est vulnérable d’un point de vue personnel. Tel est aussi notre objectif avec la Bibliothèque vigilante : chercher à comprendre les mécanismes de l’endoctrinement et inviter les gens qui se questionnent sur ces sujets à cultiver l’esprit critique pour les aider à sortir des mouvements à dérives sectaires.

L’idéologie New Age, une « science » qui ne repose sur aucun postulat solide

Le New Age donne également un sens à l’existence individuelle en adressant à chaque être humain ce message : « Vous n’êtes pas né par hasard (ou plutôt réincarné), vous êtes chargé d’une mission qui est de contribuer à l’avènement d’un monde nouveau, à la formation d’un nouvel homme et au salut de toute la planète ». Ce millénarisme est un puissant remède contre le désarroi idéologique !

Mais, derrière cette rhétorique, il y a une autre réalité. Les logiques du New Age et celles du complotisme engloutissent le moi dans un nombrilisme stérile. Elles aboutissent à l’élimination du politique, du savant, de celui qui sait auxquels elles substituent l’idéal simpliste du « faire et apprendre par soi-même ». Les sympathisants de ces mouvements ne prêtent pas attention à cette logique carcérale, et pourtant il est facile de voir que les sectes parlent le même langage que le New Age ou les théoriciens du complot.

Dans ce podcast du samedi 10 septembre de l’émission de France Culture « L’Invité(e) de Et maintenant ? », Romy Sauvayre, sociologue des sciences et des croyances à l’Université Clermont Auvergne et Élisabeth Feytit, documentariste et créatrice du podcast Méta de Choc interrogent en compagnie de la doctorante en sciences de l’éducation Charlotte Barbier les tenants et les aboutissants de la pensée New-Age.


Comment inviter les adeptes du New-Age et des théories du complot à questionner leurs croyances et la fiabilité du discours théorique sur lequel elles s’appuient ?

Méta de Choc

Méta de Choc

Observatrice infatigable de la vie, autrice et documentariste, Élisabeth Feytit est une passionnée de métacognition (la réflexion sur notre pensée). Elle a créé sur Internet Méta de choc, un espace de partage, de questionnement et d’auto-éducation au sujet de ce qui se passe dans notre tête. Pour cette ancienne adepte dé-convertie du mouvement New Age, la pensée critique passe inévitablement par le fait de comprendre la manière dont on pense, et de la questionner sans relâche.

Projet mené de manière indépendante, Méta de choc nous invite à un voyage au-delà des certitudes et du « prêt-à-penser », à une exploration de nos conditionnements mentaux : culturels, religieux, familiaux, idéologiques et même biologiques. Au travers d’émissions, de lectures, d’analyses et de podcasts, Élisabeth Feytit nous encourage avec humilité à nous poser certaines questions : pourquoi est-ce que nous pensons ceci ou bien cela ? Pourquoi agissons-nous ainsi ? D’où nous viennent nos réflexes, nos schémas répétitifs ?

Elle espère, avec son podcast, éduquer à l’esprit critique sur ces croyances qui rassemblent une communauté de plus en plus large.