Ce « passionné de neurosciences, biologie, informatique, mathématiques, philosophie et géopolitique » qui, en 2016, avait eu l’honneur d’un article grand format dans Le Monde et ne cessait de défrayer la chronique par ses discours dynamiques… n’est-il qu’un charlatan, un spécialiste de l’art du spectacle qui consiste à créer l’illusion de facultés que l’on a pas ? Car, s’il existe bel et bien des scientifiques au pédigrée académique qui sont de réelles insultes à l’intelligence et des autodidactes sans diplômes qui sont géniaux, Aberkane n’est indéniablement ni l’un ni l’autre. Portrait d’un baratineur professionnel.

L’objet de départ de cet article n’est pas de partir en guerre contre le CV gonflé aux hormones de Idriss Aberkane, car sa notoriété repose — de toute évidence — sur la complicité de certains médias, lesquels lui ont trop souvent ouvert leurs plateaux sans plus s’interroger sur les réelles compétences du personnage. Notre propos est plutôt de nous attaquer à un phénomène commun à tous les médias conspirationnistes et propre à leurs théoriciens : le baratin, ce flot de paroles trompeuses, le plus souvent motivé par le désir de convaincre, de duper ou de séduire.

Le 27 octobre 2016, le journaliste à Libération Romain Ligneul présentait le succès du conférencier Aberkane en ces termes : « Il est entré dans l’écosystème par la mauvaise porte, et la vraie question qui se pose maintenant est celle de savoir si les « bonnes » portes existent pour permettre aux « bons » chercheurs de trouver leur audience et de transmettre leurs savoirs. »

Car en vérité, Idriss Aberkane ne dupe personne. Ni les journalistes ni les chercheurs. Au final, seul le public est trompé. Ne dépassant pas le sensationalisme et les formules toutes faites qui résonnent avec ce que les téléspectateurs savent déjà, telle est la recette d’Aberkane. Et ça marche ! Au préjudice des vrais chercheurs qui se retrouvent dès lors discrédités, car ses interventions ne servent qu’à renforcer l’idée fausse selon laquelle il serait possible de goûter aux fruits de la science comme on profite d’une émission de divertissement.

Idriss Aberkane se targue d’avoir trois doctorats, ironisant sur ce fait en estimant qu’il a eu « la chance de pouvoir faire d’une passion, d’un hobby, un diplôme ». Mais depuis quand la passion suffit-elle à faire de grandes découvertes ? Idriss Aberkane semble ignorer que le goût de la curiosité ne sert pas à grand-chose sans le goût de l’effort intellectuel, chose dont il est manifestement totalement dépourvu.

Que nous apprend une analyse approfondie du CV de M. Aberkane ?

Thomas C. Durand, cofondateur de l’Association pour la science et la transmission de l’esprit critique (ASTEC) et de la chaîne YouTube La Tronche en biais, consacrée à l’esprit critique et à la zététique ayant déjà traité le mythe Aberkane de façon nettement plus rigoureuse, nous ne vous proposerons qu’un petit résumé qui en dit déjà long sur le CV hypertruqué de Idriss Aberkane :

  • Idriss Aberkane se présente comme professeur à Polytechnique, ce qu’a démenti officiellement l’institution. Dans les faits, il a été doctorant à Paris-Saclay, dans un laboratoire basé sur le campus de Polytechnique.
  • Il se présente aussi comme affilié au CNRS, ce que dément une recherche dans l’annuaire du CNRS, lequel pourtant comprend même les personnels des universités qui font leur recherche dans un labo où le CNRS se trouve !
  • Idriss Aberkane a prétendu être enseignant-chercheur à Centrale Supélec alors que cette institution l’a démenti officiellement. Il est en fait enseignant au MS Stratégie et développement d’affaires internationales de EM Lyon, co-accrédité par Centrale-Supelec.
  • Il se présente comme chercheur affilié à Stanford alors qu’il est « affiliate scholar » du Kozmetsky Global Collaboratory, qui est elle-même une organisation philanthropique affiliée à Stanford. Au final il n’est pas dans l’annuaire de Stanford. Interne à l’université de Cambridge, c’est-à-dire qu’il fut stagiaire (« intern » en anglais) dans cette université.
  • Il affirme avoir été un émissaire de l’UNESCO. Il fut en réalité Ambassadeur de UniTwin CS-DC, un organisme faisant le lien entre l’UNESCO et les universités dont font partie les directeurs de sa seconde thèse. Il n’a jamais été nommé sur le site de l’UNESCO proprement dit.
  • Par un habile abus de langage, Idriss Aberkane se présente comme normalien, ce qui signifie qu’il a réussi le concours d’entrée à l’école Normale Supérieure et y avoir suivi ses études comme fonctionnaire stagiaire. M. Aberkane y a bien suivi des études, mais en tant qu’auditeur admis sur dossier, non sur concours.
  • Il explique avoir fait le « Cogmaster », le Master Recherche en Sciences Cognitives, cohabilité entre autres par l’ENS de la rue d’Ulm. Une recherche approfondie ne permet pas de retrouver mention de son nom dans la liste des anciens élèves.
  • Il déclare avoir obtenu trois « PhD » dans des domaines très variés, soutenus à un an d’intervalle, faisant de lui un « HyperDoctor », terme qu’il a lui-même inventé et qui ne veut strictement rien dire, sinon le fait que les autres doctorants ne seraient pas « hyper »… Rien de plus, en somme, qu’une énième illustration de sa mégalomanie déconcertante.

En anglais « PhD » signifie « doctorat » et correspond à une thèse d’au moins trois ans. Or ce terme n’est pas légalement protégé en France. Son premier « PhD » semble avoir été obtenu auprès d’une institution non agrémentée par l’état, laquelle réclame des droits d’inscription très élevés (8 650 € par an à l’inscription, puis 600 € de « droit de soutenance »). Nous ne prétendons pas que ce diplôme bidon ait été « acheté » par son détenteur, cependant cette thèse ressemble davantage à une thèse de complaisance, vendue par une société dont on trouve les publicités dans le métropolitain Parisien.

  • Son deuxième doctorat est soutenu le 16 juin 2014 en littérature comparée avec, comme président du jury, un professeur d’informatique. Ce professeur ainsi que plusieurs autres membres de ce jury se retrouveront dans le jury de son troisième et dernier doctorat.

De toutes ses publications, une seule recensée a été revue par d’autres spécialistes du domaine. Il s’agit d’un résumé pour une conférence lorsque le conférencier avait 21 ans. Par la suite, ce résumé n’a donné lieu à aucun article.

La tricherie, impensable pour un vrai chercheur

Peut-on à ce point être imprécis, voire malhonnête, dans la présentation de son propre parcours et être pertinent sur le reste ? La réponse nous semble évidemment négative. Et c’est pour cela que la fraude et le mensonge sont les péchés majeurs des scientifiques ! La science repose sur l’honnêteté des chercheurs. Si un scientifique se montre malhonnête, il se disqualifie scientifiquement et plus personne ne peut le croire ensuite. Un chercheur a le droit d’être maladroit ou de commettre des erreurs. Mais la malhonnêteté est inacceptable.

Si avoir un diplôme était synonyme d’intelligence, cela se saurait ! Le seul vrai talent d’Idriss Aberkane est donc l’art du storytelling, celui de savoir raconter des histoires, en mélangeant tout un tas de concepts incompréhensibles, de références scientifiques invérifiables par le commun des mortels et de néologismes de son cru dans une novlangue qui n’a rien à envier aux sectes. À défaut de devenir un gourou, on ne peut que féliciter Idriss Aberkane d’avoir su tirer son épingle du jeu sur ce créneau fort encombré. L’effet gourou pourrait se traduire ainsi : puisqu’on ne comprend rien, c’est que l’auteur doit être génial, et puisque l’auteur est réputé génial, il est dans le fond normal, et même souhaitable qu’on ne comprenne pas vraiment ce qu’il dit. CQFD !

Quelle est la recette de son succès ?

Aberkane flatte l’ego d’un public hébété pour qui les sciences s’arrêtent aux blockbusters de S.-F. Son CV est trompeur, falsifié et gonflé aux hormones, ses livres remplis de poncifs lénifiants, voire grossièrement naïfs. On y trouve que des comparaisons abracadabrantes, cousues de quelques perles de sagesse pseudo-profonde et de réquisitoire à l’encontre des scientifiques qui, selon Idriss, ne comprennent rien à la Science. Sa conférence sur le biomimétisme est équivoque à ce sujet. Dans cette vidéo, Idriss Aberkane affirme — fallacieusement — que les révolutions « scientifiques, politiques, philosophiques, morales » se font toujours en trois étapes. D’abord elles seraient considérées comme ridicules, puis dangereuses, puis normales. Cet argument douteux ne sert essentiellement qu’à préparer un certain état d’esprit pour le spectateur : « attention, ne jugez pas ce que je vais dire comme ridicule, car en réalité c’est révolutionnaire ».

Ce raisonnement est en tout point identique à cette citation (faussement attribuée à Schopenhauer) : « Toute vérité passe par trois étapes, d’abord elle est ridiculisée, ensuite elle est violemment combattue et enfin elle est acceptée comme une évidence ». Cette citation apocryphe anonyme est sans cesse utilisée par les complotistes pour étayer leurs sophismes et convaincre leurs fidèles de la véracité de leurs propos. Pourtant, on ne trouve nulle trace de cette phrase dans les écrits du philosophe éponyme !

Dynamique et enthousiaste, la plume d’Aberkane est passionnée et son public, peu ou mal instruit, en déduit naturellement que c’est un bon vulgarisateur qui essaie d’expliquer des choses complexes et savantes avec des mots simples. Par conséquent, le simple fait qu’Idriss Aberkane dise quelque chose, même une ineptie, signale à son auditoire et à ses lecteurs qu’il doit être un génie qui parvient néanmoins à se faire comprendre.

Ce sentiment d’autorité s’apparente en réalité plus à celui du gourou que du scientifique vulgarisateur, dont il usurpe la fonction au profit d’une simplification absconse et sans queue ni tête. Pour quiconque creuse un peu sous le vernis Aberkane, la supercherie ne résiste jamais à une analyse factuelle de ses propos. Or il n’y a rien de pire que de ne rien comprendre à quelque chose, c’est de le comprendre de travers en se figurant l’avoir très bien compris !

Idriss Aberkane… Profession : baratineur

Comme les gourous laissent croire à leur prodigieuse profondeur simplement grâce à leur obscurité, Idriss Aberkane laisse entendre son incroyable génie et sa réussite grâce à sa simplicité et aux critiques qu’il se permet. Dans le premier cas, on se fatigue à essayer de comprendre du non-sens, dans le second cas, on croit avoir compris autre chose que des banalités sans intérêt.

Idriss Aberkane est donc un génie de la communication, mais certainement pas des sciences. Il ne tire son profit que de sa prétendue renommée, oubliant que le travail et l’intelligence sont à la base de la réussite, dans la recherche comme ailleurs. Il y a un terme pour cette méthode qui permet d’avoir l’air futé en ne disant rien de profond : on appelle cela le baratin ou, en anglais, le bullshit.