Les mots n’appartiennent à personne, certes. Pourtant, dans l’inconscient collectif, ces quatre mots-là, « mon corps, mon choix » sont clairement associés à la lutte pour les droits des femmes, et en particulier au droit à l’avortement. Alors que l’avortement est remis en question aux États-Unis, les discours anti-IVG sont légion sur les réseaux alternatifs complotistes francophones. Défense des « valeurs » de la famille, crainte d’une dépopulation : sur Internet, le droit à l’avortement est la cible d’attaques aux multiples formes.

Slogan emblématique pour les féministes et les militantes du monde entier, « Mon corps, mon choix » a permis un coup d’envoi puissant dans la lutte pour l’égalité et, plus spécifiquement, pour les droits des femmes. À partir des années 1970, l’expression a été officieusement inventée comme un mantra appartenant au mouvement pour l’égalité des sexes et a été couramment entendue lors de manifestations dans un certain nombre de pays.

En réponse à l’oppression des femmes et à leur pouvoir reproductif, les féministes et les contestataires continuent d’utiliser cette phrase comme un cri de guerre, une expression de l’importance de l’autonomie corporelle. Naturellement, cette réponse n’est pas bien accueillie par tout le monde, et est particulièrement contestée par les partisans du Mouvement pro-vie et les responsables gouvernementaux aux programmes antiavortement. Comme vous pouvez l’imaginer, ce n’est pas non plus un slogan populaire auprès des sexistes. Quoi qu’il en soit, « Mon corps, mon choix » continue d’être une expression des droits que les femmes méritent, et il est toujours utilisé dans la bataille pour l’égalité des sexes.

Cependant, environ cinquante ans plus tard, le slogan crié fièrement de la bouche des féministes commence à être déformé pour s’adapter à un programme extrémiste très différent, loin des valeurs d’émancipation, de liberté et d’autonomie qu’il entend défendre.

Anti-vaccins et anti-IVG, même combat ?

En France le principal réseau de désinformation qui prône la doctrine anti-vax, RéinfoCovid (voir la fiche RéinfoCovid dans l’annuaire du complotisme) et qui croit à tort que le virus serait une sorte de « stratagème politique », a été fondé par des personnalités — Louis Fouché et Alexandra Henrion-Caude — ouvertement antiavortement et liées de près à l’extrême droite catholique traditionaliste.

En effet, depuis maintenant un peu plus de deux ans, les antivax sont en première ligne contre le droit à l’avortement. Louis Fouché, Alexandra Henrion-Caude, Thierry Casasnovas ou Olivier Rey, ces stars françaises du mouvement antivax sont toutes bien implantées dans l’extrême droite antiavortement. « Autonomie » et « Liberté de disposer de son corps » sont devenus des arguments familiers des antivax, des sceptiques des vaccins et des anti-masques ces derniers temps. En témoignent les multiples détournements de l’expression féministe « mon corps, mon choix » qui sont devenus des mots d’ordre des mouvements anti-vaccins propulsés par la pandémie de COVID-19.

Un ennemi commun : les vaccins

Or au milieu d’une épidémie qui a tué près de huit millions de personnes jusqu’à présent, choisir de ne pas se faire vacciner contre le COVID-19 alors que vous disposez de traitements sûrs et efficaces a clairement des implications majeures pour la santé des autres, en particulier les personnes vulnérables qui peuvent ne pas être en mesure de le faire elles-mêmes. Ainsi, là où « mon corps, mon choix » est utilisé majoritairement dans le cas de mouvements de femmes qui souhaitent avorter, de nombreuses personnalités politiques « pro-vie » (anti-IVG) sont parmi celles qui défendaient la « liberté » de ne pas porter le masque en public, ou qui utilisaient l’expression féministe éponyme pour servir leurs intérêts. « Mon corps, mon choix » devenant en quelque sorte l’étendard du choix d’une minorité d’entre nous de continuer à mettre la vie du plus grand nombre en danger.

Or ces deux idéologies, anti-vax et anti-IVG ont fait des vaccins leurs ennemis ; les militants antiavortement s’opposant aux vaccins principalement parce que certains d’entre eux — rubéole, hépatite A, varicelle, zona et rage — sont fabriqués à partir de lignées cellulaires fœtales vieilles de plus de cinquante ans. Un paradoxe pour la plupart d’entre eux, fervents catholiques, puisqu’ils s’y opposent en dépit du fait que l’Académie pontificale pour la vie de l’Église catholique a donné son feu vert à ces vaccins, considérant la vaccination pour protéger la santé publique comme un bien moral.

Une récupération politico-religieuse

Dans une interview pour Rewire News Group, l’autrice américaine Ilyse Hogue expliquait fin avril 2020 la façon dont certains groupes politiques conservateurs reprenaient les cris de ralliement d’autres mouvements pour leur propre profit. La chose existe aussi outre-Atlantique. Les efforts des politiques de droite et d’extrême droite pour récupérer les symboles et le langage d’autres mouvements, souvent des mouvements auxquels ils s’opposent directement, font partie de leur stratégie habituelle. Là encore, les médias de « réinformation » ont sauté dans le train de la désinformation — comme ils le font toujours — ​​pour diffuser les mêmes sermons erronés auprès de leurs fidèles.

Nous avons constaté cette tactique se répéter à maintes reprises alors que la droite et l’extrême droite radicale attaquent la liberté reproductive en déployant des campagnes de propagande malhonnêtes qui s’appuient sur des images et des phrases récupérées par ceux qui recherchent plus d’égalité et de justice. Ces idéologues sournois militarisent la désinformation chaque fois qu’ils en ont l’occasion afin de faire avancer leur doxa et leurs programmes dangereux, quel qu’en soit le prix. Le mouvement pro-vie américain, par exemple, a depuis longtemps reconnu que son objectif à long terme d’interdire l’avortement est impopulaire auprès de la grande majorité des Américains. Ce mouvement tente donc de formuler sa rhétorique dans un langage qui, selon ses adeptes, plaira aux personnes facilement influençables. Nous avons remarqué la même technique lors des nombreuses manifestations anti-pass sanitaires en France, où les militants pro-vie, les anti-vax et les anti-masques ne modèrent pas leur ton pour le rendre plus agréable, ils répètent celui de leurs opposants et des défenseurs des droits humains parce qu’ils savent que cela fonctionne mieux.

Individualisme vs santé publique

Le problème majeur de cette récupération des slogans historiquement progressistes à des fins de désinformation réside dans le simple fait que choisir de se faire vacciner (ou de ne pas faire vacciner son enfant) n’est plus seulement un choix personnel — scientifiquement parlant, c’est une question de santé publique. Tandis que l’avortement ne l’est pas. Le choix d’une personne de se faire avorter ou non n’a pas d’incidence a priori sur la santé des personnes avec lesquelles elle interagit, alors que le choix de ne pas se faire vacciner en a une.

La combinaison de la rhétorique anti-vaccins et celle antiavortement est logique : les deux ignorent la science et diffusent une désinformation dangereuse. Il est de notre devoir de continuer à dénoncer cette « pseudo-science » propagée en grande partie par les discours de l’extrême droite, et ceux tous aussi irrationnels des anti-vaccins et des anti-IVG et, à la place, de promouvoir le simple fait que la vaccination et les avortements sont à la fois médicalement sains et sûrs.

Ou bien ce sont des murs !* Bien qu’il soit normal que les mots et leurs sens évoluent avec le temps, à un certain moment, il devient dangereux que des expressions autrefois percutantes soient entièrement transformées en autre chose. « Mon corps, mon choix » est un ensemble de mots en apparence simples, mais incroyablement importants pour les luttes pour l’égalité des sexes et la défense de la « pleine autonomie corporelle », laquelle peut se définir comme le droit de prendre ses propres décisions sur les questions de santé et de contraception, et le choix d’avoir ou non des relations sexuelles. Conséquence directe de choix éclairés, l’autonomie est le fondement même des autres droits humains ! Et il se doit de le rester.


* Citation de Marshall B. Rosenberg, psychologue américain (1934-2015) fondateur du Centre pour la Communication NonViolente. Sa méthode basée sur l’empathie, la CNV, permet d’accroitre en toutes circonstances la compréhension et les rapports entre les personnes, mais aussi et surtout le respect de nos différences mutuelles.